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Michel ROTA -LE GRAND PATRON DE LA MOBILITÉ AU QUOTIDIEN
PFM : Comment êtes-vous arrivé dans le secteur du fitness/wellness ?
Michel Rota : A 27ans, j’étais prof d’EPS et sportif professionnel dans l’équipe de Water-Polo de Montpellier, après avoir été sélectionné en équipe de France à de nombreuses reprises depuis tout petit. Je suis entré dans le monde des loisirs sportifs grâce à une première expérience dans les campings de plein air dans la région de Montpellier. En tant qu’athlète, préparation physique oblige, je fréquentais les salles de fitness et j’aimais déjà cet univers. Alors quand je suis tombé sur une annonce du groupe Moving qui cherchait un manager/animateur pour un club à Paris, j’ai foncé, et j’ai été embauché. Il faut dire que j’étais extrêmement motivé, et que le courant est passé tout de suite avec Lionel Bourrillon, le fondateur du concept. Me voilà arrivant à Paris, que je ne connaissais pas, à commencer un métier que je ne connaissais pas non plus, et qui était en pleine création. Je faisais de tout du coup : donner des cours, manager la salle et vendre des abonnements. J’étais déterminé et j’ai improvisé ! C’était au début des années 90 et Lionel, qui commençait à développer sa franchise, est devenu mon mentor. Il m’a laissé beaucoup de liberté en tant que responsable produit, et j’ai pu en parallèle développer l’axe corporate fitness. Cette expérience forte a duré 5 ans et m’a énormément appris. C’est à ce moment-là que s’est forgé cet esprit entrepreneur qui m’anime encore aujourd’hui. Un jour, Moving a été racheté par Gymnase Club, et je me suis retrouvé aux côtés de Patrick Dalia, une autre sommité du fitness. C’est grâce à lui que je suis devenu directeur général et fondateur de Samouraï, la filiale corporate de Gymnase Club. Là encore, improvisation totale, tout était à créer, aussi bien de notre côté que de celui de nos clients, ces entreprises pionnières qui déjà à l’époque s’intéressaient au bien-être de leurs salariés. Après que l’enseigne a été revendue au Club Med, une cavalcade de présidents s’est succédée, ce qui n’a pas aidé à créer une vraie ligne stratégique cohérente. Au bout de deux ans, je suis parti. Abandonnant momentanément le fitness en entreprise, je suis revenu au secteur grand public, en travaillant comme DG France du groupe anglais Fitness First, qui souhaitait implanter dans toute l’Europe ses clubs premium à prix abordable. J’ai monté dix clubs pour eux dans toute la France. Mais le Corporate me manquait, et au bout d’un an je me suis décidé à sauter le pas, en créant Wellness Training avec Félicité des Nétumières. Ça a tout de suite très bien pris, il faut dire qu’en unissant mes compétences commerciales avec ses compétences financières et gestionnaires, Wellness Training a tout de suite marché de manière équilibrée sur ses deux pieds. En 2014, j’ai accepté une brève mission de directeur général opérationnel chez Moving, mais le manque de déontologie du groupe m’a rapidement déçu. Cela m’a fait mal au coeur de voir ce qu’était devenue cette belle entreprise qu’avait créée Lionel Bourrillon, avec les marques que l’on connait tous : Moving, Lady Moving et actuellement Fitness Park. Heureusement je suis aujourd’hui pleinement comblé avec Wellness Training, menée par plus de 200 salariés, qui réalise un chiffre d’affaires de 7 millions d’euros avec une croissance annuelle de 30% et qui est devenue une référence dans le monde de la forme, du bien-être et de la prévention santé en entreprise.
PFM : Quel est votre vision pour l’avenir du secteur ?
M.R. : Le métier a pas mal progressé, les profils de patrons de clubs a changé depuis 2008. Ils sont devenus plus financiers. Mais il y a encore du chemin à faire. Nous devons être plus collaboratifs, moins individualistes, pour progresser ensemble. Le business est de plus en plus difficile du fait de la pression concurrentielle qui s’accroît, avec l’arrivée sur le marché français d’enseignes internationales qui ont des approches financières totalement différentes des nôtres. Le déferlement de Basic Fit en France, comme dans les autres pays européens d’ailleurs, devrait nous sensibiliser à ces approches qu’avait d’ailleurs initié Fitness First dans les années 2000. L’enjeu de demain sera celui de la personnalisation du parcours client avec une « expérience utilisateur » accompagnée par le digital. L’augmentation du taux de fidélisation, passera par la personnalisation de l’offre et un meilleur suivi. 60% de perte de clients chaque année est un non-sens pour moi et certainement pour beaucoup de patrons de clubs. Les gérants de club doivent impérativement apprendre à observer les pratiques sportives de leurs clients et ne pas rester focalisés sur leurs seules activités fitness. Running, yoga ou boxe, aujourd’hui les gens pratiquent plusieurs activités en dehors du club et cet aspect est souvent ignoré par les managers. Une enquête menée par le syndicat professionnel Union Sport & Cycle a montré que 40% des membres des clubs de fitness pratiquaient le running régulièrement. Je pense donc qu’il est nécessaire d’établir une meilleure connexion avec la clientèle, afin de mieux la segmenter, mieux la servir. C’est ce qui ressortait du discours de tous les patrons de chaines européennes et US lors de la dernière convention européenne d’Europe Active. Définir l’identité sportive du client, pour lui proposer la bonne « expérience utilisateur » est une nécessité pour que celui-ci se sente reconnu et du coup en correspondance avec son club.
PFM : parallèlement à votre carrière d’entrepreneur, vous avez eu un parcours syndical dense…
M.R. : Mon engagement date des années 2000. Nous avions comme revendication la baisse de la TVA à 5,5% que nous n’avons pas obtenue à cause de notre manque de représentativité auprès des institutions. Seuls les centres équestres l’ont obtenue grâce à leur force collective car toutes les exploitations équestres étaient réunies derrière leur syndicat. Notre deuxième revendication a concerné la formation professionnelle de nos salariés, qui est encore aujourd’hui tributaire du modèle associatif et sportif, bien éloigné de nos besoins ludiques, santé et de management d’exploitations. Nous souhaitons que le contenu de la formation professionnelle de nos salariés soit défini par nous-mêmes, de manière à pouvoir proposer une véritable évolution de carrière tout au long de la vie. Le CQP fitness, qui a été monté par mon ami Christophe Andanson, est un très bon début, mais nous devons aller plus loin en anticipant des formations transversales dans les loisirs sportifs, et ainsi garantir un parcours professionnel riche et évolutif, pour tous les salariés de notre secteur. Aujourd’hui, j’ai rejoint l’UNION sport & cycle qui est la première organisation professionnelle du secteur du sport. Elle fédère 1400 entreprises, plus de 500 marques, 3000 points de vente qui réalisent 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulé et emploient 80 000 salariés. Sa mission est d’être au service des entreprises de la filière du sport, des loisirs, du cycle et de la mobilité active et d’assurer la promotion des activités physiques et sportives. L’UNION regroupe tout le secteur économique des loisirs sportifs, c’est-à-dire les fabriquants de matériel, les distributeurs (Decathlon, Sport 2000, Endurance Shop, …) et tous les prestataires de service comme le Fitness, le Foot à 5, le Ski, l’escalade, réunis dans un CLUSTER des loisirs sportifs. Notre ambition, grâce à ce regroupement, est de contribuer à augmenter l’activité physique des Français quelle que soit la forme que prend celle-ci, et bien sûr, d’être plus nombreux et plus forts pour défendre les intérêts de nos entreprises auprès des institutions. L’UNION, c’est plus de 20 permanents qui oeuvrent chaque jour pour nous et avec nous, à nous représenter, à nous défendre, à anticiper les règlementations, à faire évoluer les quatre conventions collectives du secteur dont une pourrait tout à fait être celle des Loisirs sportifs… c’est-à-dire notre propre convention collective, ce qui serait une réelle avancée pour notre secteur. De par mon expérience syndicale, je savais qu’il était indispensable de rejoindre l’UNION pour avoir une chance de faire exister notre spécificité face au monde sportif associatif. C’est ce que nous avons déjà obtenu, avec nos sièges de membres fondateurs de l’Agence Nationale du Sport, qui a pour objectifs le financement et l’organisation du sport en France (développement de la pratique sportive pour tous). Nous participons de manière directe avec les autres syndicats d’employeurs comme le MEDEF et la CPME à réorganiser le mouvement sportif français. J’invite mes collègues du fitness à me rejoindre pour participer à construire durablement notre secteur des Sports de forme.
PFM : Quelle est la particularité d’une offre de fitness corporate ?
M.R. : Chez Wellness Training, nous avons pris le parti dès le départ de développer une approche globale du wellness, au-delà du fitness. Notre offre de services repose donc sur quatre piliers que sont l’activité physique, le sommeil, la nutrition et la gestion du stress. Je considère qu’il est nécessaire, pour obtenir un réel impact sur la santé, « il est nécessaire d’établir une meilleure connexion avec la clientèle, afin de mieux la segmenter, mieux la servir. » 29 d’être actif au quotidien, et tout au long de la semaine. On ne peut pas se contenter de deux séances de sport par semaine. Notre but est donc d’inscrire la mobilité dans leur quotidien. Nous ne créons pas simplement des zones de fitness au sein de l’entreprise, nous entrons vraiment dans une démarche de co-développement sur des problématiques de prévention. Nous avons par exemple conçu pour Sanofi un challenge de pas. Le principe : faire 10 000 pas tous les jours, ou x kilomètres en 15 jours en formant des équipes inter-service ou inter-sites. Aujourd’hui, l’appli Walk Well est sur le store – réalisée sur-mesure – est traduite en 15 langues. Ce challenge profite à leurs 110 000 salariés à travers le Monde. Autre exemple, nous avons développé pour le groupe Carrefour l’appli Well by Wellness, axée sur le type de repas que les utilisateurs des salles fitness souhaitent réserver après leurs séances du midi. Après une activité cardio ou zen, les utilisateurs réservent le repas le plus adapté à l’activité physique qu’ils viennent de pratiquer, et en cohérence avec leur profil. Nous sommes en mesure également de mesurer l’impact de nos prestations fitness sur les styles de vie des salariés, et ainsi démontrer une corrélation entre l’amélioration du bien-être et la diminution de l’absentéisme. Pour nos entreprises clientes, lorsqu’elles investissent 1 euro dans un de nos programmes, elles récupèrent 4 euros en diminution de l’absentéisme et du présentéisme. C’est un argument de taille, d’autant qu’aujourd’hui, pour attirer les jeunes talents, le salaire seul ne suffit plus, et qu’il est également important de proposer un projet qui a du sens, avec une bonne qualité de vie au travail.
PFM : Peut-on considérer que votre offre concurrence les clubs de fitness ?
M.R. : Pas du tout, au contraire ! La population que l’on touche est essentiellement sédentaire, et on les prépare justement à intégrer une structure de loisirs sportive en dehors de leurs heures de travail, comme par exemple un club de fitness, le running du week end ou l’escalade en famille. Nous rendons les gens plus actifs, ce qui va les aider à franchir la porte d’un club de fitness par la suite, pour peu que ces derniers soient en capacité d’accueillir ces profils de clients non sportifs, mais engagés sur le chemin de la désédentarisation. Nous sommes donc très complémentaires.
PFM : Selon vous, quelle est la meilleure manière de renforcer le rôle du sport santé en France ?
M.R. : Je pense que cette problématique ne peut évoluer que par la promotion de l’activité physique au niveau national avec un regroupement de tous les acteurs de notre secteur dans notre Cluster des Loisirs Sportifs afin de proposer un large panel d’activités aux Français. Nous devons ensuite être reconnus par les instances nationales de santé comme les Agences Régionales de Santé qui doivent orienter leurs utilisateurs vers notre CLUSTER des loisirs Sportifs de l’UNION, reconnu comme un véritable partenaire offrant une prestation pour lutter contre l’inactivité physique. Enfin, nous devons formaliser un cadre de référence, soit une norme, soit un label Sport Santé sur la prise en charge des différents publics au sein de nos exploitations, et pour cela je reviens sur le cadre de compétences que devront avoir nos coachs fitness pour prendre en charge des profils particuliers en prévention primaire. Amener les enfants, les seniors, les lombalgiques dans les clubs de fitness nécessite de sortir de notre cadre actuel. Sur ce thème, le marché Allemand est très en avance sur le nôtre, très structuré pour accueillir des profils différents. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si des fabriquants comme eGym avec des machines de musculation totalement connectées favorisent et développent la pratique de la musculation pour le plus grand nombre. J’étais à Munich le mois dernier et nous avons été accueillis par un gérant de club de fitness Premium (4000 m2- 10 Millions de CA), un ancien body-builder qui a décidé de changer la majeure partie de son parc de musculation par des équipements eGym. On parle d’une soixantaine de machines … car il a observé que des populations de personnes plus âgées et aussi de femmes venaient s’y entrainer, avec un objectif de santé. Il expliquait que ses coachs ne savaient pas programmer correctement des séances de musculation, contrairement aux machines et que cela laissait les coachs à disposition pour animer le plateau. eGym a bien compris qu’il fallait apporter non pas seulement des machines à ses clients, mais un service global …
PFM : Trois mots pour résumer votre carrière ?
M.R. : Enthousiasme, Innovation, Collectif. Ma vie professionnelle m’a confirmé ce que j’avais déjà appris dans les bassins de Water Polo : on ne réussit rien tout seul. Mes réussites sont liées à des collaborations riches et sincères et mes échecs à la confrontation entre egos mal placés et fermés au monde. J’ai fait énormément de rencontres et conservé beaucoup d’amis, de copains, d’anciens collaborateurs avec qui je partage toujours de bons moments. Ma vie professionnelle m’a aussi appris qu’il est important de toujours remettre en question les certitudes et qu’une entreprise qui avance est une entreprise qui crée de nouvelles idées et de nouveaux concepts. Cela m’a guidé depuis le début et cela n’est pas près de s’arrêter. Enfin, et parce qu’il faut beaucoup d’énergie pour tout cela, une vision plus large, une mission que l’on se donne, sont indispensables pour nourrir l’envie au jour le jour. Pour moi, c’est la santé des hommes et des femmes qui est en permanence en ligne de mire de mes actions. Je ne suis pas médecin, mais, en les aidant à redécouvrir l’activité physique, je contribue à augmenter leur espérance de vie en bonne santé. Et ça, ce n’est pas rien.